Ironie au nom de leur Dieu {Blinding}

La pluie glaciale lavait l’horizon tandis que je restais là à subir les caprices du ciel. Je ne tremblais pas comme un vulgaire humain. L’eau glissait ses ma peau, trempait mes habits, sans que je ne sois gêné. C’est à peine si je me rendais compte de l’averse. Mes cheveux se collaient sur mon front ce qui avait le don de m’énerver. Je passai nerveusement mes doigts dedans, et ils reprirent leur place habituelle sans plus jamais s’aplatir. Un vague soupir se glissa hors de mes lèvres tandis que je marchais dans les ruelles. Ces dernières se vidaient peu à peu. Les gens se précipitaient à l’abri dans un magasin ou un restaurant, espérant que cette subite dépression passerait aussi vite qu’elle était venu. Les pavés glissaient mais j’avais acquis avec le temps un équilibre hors pair et pluie ou non, rien n’arrêterait cette balade improvisée. Je ne savais pas où j’allais ni pourquoi. Mon unique but était marché calmement sous la pluie en laissant mon esprit divaguer sur cette semaine passée. Nous étions en automne, ma saison préférée. Le paysage est peint de couleurs chaudes et vives telles que le rouge, l’ocre et l’orange. Les pluies se faisaient soutenues, annonçant l’arrivée futur de l’hiver où tout se figerait. Les feuilles tombent des arbres pour joncher le sol, offrant une fois de plus une palette de couleur agréable à regarder, surtout pour ceux qui aiment marcher en regarder leurs pieds ce qui n’est pas mon cas. Je préfère garder la tête haute et l’esprit lointain. Un léger sourire de satisfaction vient étirer mes lèvres alors que je pense à tout ça.
Mes pas me mènent dans des dédales sinueux que je connais par cœur pour y avoir rôdé pendant de longues années alors que la nuit tombait. J’aimais m’attaquer aux victimes qui s’y trouvaient. Le plus souvent j’avais à faire à des prostituées ce qui me mettait un peu plus hors de moi. Cela à beau être le métier le plus vieux du monde, c’est aussi le plus déshonorant et répugnant je trouve. C’est traîner l’image de la Femme dans la boue. Aujourd’hui, l’endroit est désert ce qui me donne un certain repos. La vermine fut l’eau comme les rats quittent le navire avant que ce dernier ne coule.

Par ironie du sort ou de ma part, je ne sais pas vraiment, j’atteins l’église dont la pointe du clocher, faite de cuivre, donne une touche de vie. L’église est un endroit de foi et de religion. Selon les légendes, les vampires craignent les pieux, l’ail, l’eau bénites mais aussi les lieux saints. Ce ne sont que des balivernes qui provoquent bien souvent mon hilarité. Si Dieu existe alors je vais lui montrer qu’il ne peut rien contre moi. Contre Nous. Contre tous les Vampires. Je gravis les marches en silence et passe la porte en bois. La fraîcheur du lieu confirme mon idée de caveaux. Sur le sol quelques inscriptions latines me font lever les yeux au ciel par exaspération. Les bancs de bois sont alignés à la perfection et en face de l’allée où je me trouve qui n’est autre que l’allée centrale, se trouve la croix de Jésus, l’orgue à gauche et des tables remplies de cierges allumés. Ils croient tous en leur suprême Dieu de pacotille ? Pitoyable. Je m’avance dans cette allée avec aisance. J’aime jouer avec la grâce naturelle qu’on les vampires, cette aisance à se déplacer, cette délicatesse dans les gestes et cette grâce innée. Mes pas ne produisent aucun son et pourtant je touche bel et bien le sol. Une fois proche de la table, je regarde l’ensemble des cierges et tend la main pour éteindre le premier que mes doigts rencontrent. Je pince la mèche enflammée sans ressentir de sensation de brûlure puis lorsque je rouvre les doigts, la mèche est éteinte. Satisfait je porte mon regard sur la croix.

« Ce n’est pas des bougies qui vont vous protéger de la mort, pitoyables mortels…Le feu de notre Poison vous tuera pour les plus faibles et transformera les plus forts. Vous allez tous périr d’une façon ou d’une autre sans pouvoir Nous tuer. »

Je ne sais pas à qui je m’adressai véritablement mais j’avais parlé sans le vouloir. Les mots m’avaient échappé. Qu’importe. Je haussai doucement les épaules puis fis demi tour en quittant l’église sans me presser. Voilà. Maintenant je ne savais plus quoi faire… J’allais donc attendre que le temps passe. Il pleuvait toujours mais cela n’avait toujours pas d’importance pour moi. Je m’assis sur les larges marches en roc, devant l’Eglise. Attrayant, le fait d’être là, sur les marches de la maison de leur Seigneur. Bande d’incapable… J’observai la rue en silence, guettant les moindres silhouettes au loin. J’avais l’éternité après tout…

Une pluie battante comme il y en a eu depuis ma naissance en tant que vampire. Une pluie battante qui laverait les pavés immaculés de sang. Une pluie battante accompagnée d'un vent pouvant empêcher quiconque d'avancer comme pour l'empêcher d'aller plus loin qu'on ne devait aller. Un éclair vint transcendé la nuit noire qui s'offrait à moi, vampire ancienne, errant dans ce monde malgré moi depuis plus de 750 ans.

Je ne vis qu'en solitude pour ne pas dévoiler qui je suis ou plutôt ce que je suis. Je suis immortelle, vous pauvres humains avez peur de mourir mais au fond, la mort pourrait apaiser cette âme qu'est la mienne. Cette errance qui n'a pas de fin, cette vie que je maudis, je suis condamnée à errer dans l'éternité de ce monde, condamnée à ne jamais vieillir, condamnée à garder cette apparence, condamné à revivre la mort des proches.

Errant dans la rue, éclairée par le simple éclair qui transcende la noirceur de la nuit, vêtue d'une robe rouge sang collant à ma peau, l'eau dégoulinant de mes cheveux détachés, mon visage caché par ces cheveux qui se collent, cheveux qui semblent danser sous l'effet du vent. Moi qui marche doucement, regardant ces pauvres humains qui courent sous la pluie pour éviter de ce faire mouiller alors qu'il est trop tard. Je maudis ces humains qui ne vivent plus chaque instant, ils courent après ce temps qu'ils n'ont pas et nous pauvres vampires avons l'éternité devant nous.

Je les observent ces humains qui me bousculent par mégarde et me dévisagent en ne s'excusant même pas, je les vois crier de frayeur lorsqu'ils fixent mes yeux. Peu à peu, les rues se vidèrent, bientôt je me retrouvais seule, pas tout à fait, mon faucon était le seul ami que j'avais, faucon que je verrais mourir sous peu, et je me retrouverais toute seule à maudire cette vie.

Je m'arrêtais devant une ruelle et tournai la tête, en sentant une présence, présence qui n'était pas humaine, un vampire semblait y être. Je ne bougeais pas, je restais ainsi, à fixer de mes yeux rouges, ce vampire assis sur des marches. Vu sous cet angle, je ressemblais à un démon, la pluie battante, le vent faisant danser mes cheveux, les éclairs transcendants le ciel, vision chaotique pour un humain mais pour un vampire, qu'en est-il? Aurais-je cette réponse avec ce vampire qui se trouvait devant moi?

Lassé de rester sans rien faire, je finis par fermer à moitié les yeux, fredonnant doucement une vieille chanson que j’écoutais follement lorsque j’allais aux fêtes entre lycéens alors que je n’étais qu’un humain. Une vague de souvenir me noyer, mêlant tristesse, douleur, ivresse et éclats de joie. Cet étrange amalgame me donnait du mal et du bien, faisant souffrir mon esprit qui tentait en vain de parer à cette attaque trop sentimentale. Je me sentis brusquement fragile et en perdition comme un enfant qui aurait perdu ses parents dans la foule et qui en désespoir de cause, le visage ruisselant de larme, serait venu s’asseoir devant l’église, espérant que ses géniteurs le retrouveraient vite. L’angoisse d’être seul et ce sentiment de vide naissait en moi sans que je ne parvienne à contrer tout cela. Je ne réussi pas à m’en défaire, je me débats contre moi-même, tentant de m’arracher à ces souvenirs trop douloureux. Je revois ces salles bondées de jeunes, la musique assourdissante et la rumeur des discussions qui va en croissant. L’odeur de l’alcool, de la transpiration, de parfums et eau de toilettes diverses. Puis le goût acidulé des cocktails, la sensation douce-amère de la brûlure du liquide sucré et alcoolisé. Tout ça me manque.

Brusquement mes yeux se rouvrent, je hoquette comme si je m’étouffais après avoir bu trop vite un verre d’eau. C’est la seconde fois en peu de temps. Cela m’est arrivé dans la forêt, avec ma nouvelle protégée. Le passé est ma bête noire et depuis toujours je tente de l’abattre d’un coup fatal mais je n’y parviens pas. C’est comme si je cherchais à décoller mon ombre de mes pieds, c’est impossible. La pluie est plus fine mais tombe toujours. Les rues sont toujours vides. Toujours toujours.
Une ombre, une silhouette plus loin attire mon regard. Je me redresse, m’étant inconsciemment recroqueviller. C’est une vampire. Rasséréné je soupire doucement mais ne détourne pas la tête. La compagnie n’est jamais mal vue.

Curieux, je finis par me lever, ne sachant pas comment réagir à cette nouvelle apparition. Faire face à mon passé ou à une inconnue ? Je devais choisir, je ne pouvais pas combattre et repousser les deux à la fois. Un léger grognement de mécontentement m’échappe. Non pas envers ce vampire mais envers moi-même qui ne suis pas capable de faire deux choses complexe à la fois.

La pluie continuait de tomber, les éclairs transcendaient encore le ciel et moi dans tout ça, une vampire simplement vêtue d'une robe, les cheveux collants à mon visage, mon regard froid observant ce vampire qui venait de se lever.

C'est à cet instant que je me mis à rechercher une raison à ce que je faisais, j'étais dans mon jour de déprime habituelle alors pourquoi j'étais en travers de cette ruelle à fixer un de mes congénères? Je ne savais pas quoi faire, mais s'il s'était levé, c'était bien pour venir me voir, du moins, il était obligé de venir à ma rencontre pour sortir d'ici.

C'est alors qu'un enfant me rentra dedans, les yeux remplis de larmes, en criant "maman! Où es-tu maman?" Je trouvais cela pathétique, ça me dégoutait de voir ça. L'enfant tenait le bas de ma robe dans sa main et me fixer dans les yeux. Évidemment, je me doutais bien qu'il finirait par avoir peur, il n'est pas commun de voir une jeune femme dans la rue alors que la pluie tombe à torrent et que l'orage gronde.
Dans un battement d'aile, mon faucon se posa sur mon épaule comme à l'accoutumée, l'enfant se mit à hurler de peur et tomba par terre en voyant la couleur de mes yeux rouges et mon faucon, il se releva rapidement et s'enfuit en criant. Je me retournai et le regardai fuir ma présence.

"Pathétique humain...Je me demande si j'étais comme ça avant."

Je reposai mon regard sur le vampire tout en caressant le plumage de Thanatos. J'avais oublié depuis combien de temps j'avais ce faucon, au moins 5 ans, je savais qu'il ne resterait pas éternellement avec moi, il ne le pouvait pas et moi je ne pouvais rien faire à part le regarder vieillir et mourir un jour ou l'autre. Baissant la tête doucement et déviant mon regard du sien, je choisissais finalement de fuir, je ne sais pas pourquoi mais il était peut-être mieux ainsi. Je commençais à marcher doucement, m'éloignant peu à peu de ce vampire, quittant son champ de vision...